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Chroniques
Bizerte n’est pas pressée de faire sa guerre de libération
Par Marouen Achouri
02/07/2025 | 16:59
4 min
Bizerte n’est pas pressée de faire sa guerre de libération

 

Les résultats des élections législatives partielles de la circonscription Bizerte-Nord auraient été le sujet de prédilection de la semaine si ce n’était le combat, valeureux et nécessaire, que livrent les jeunes médecins contre la précarité de leur situation. Les électeurs de cette circonscription ont largement ignoré cette élection, malgré toute la lumière braquée dessus.

 

Une victoire… à 584 voix : la démocratie en version allégée

Seulement 2.623 personnes se sont déplacées aux urnes dimanche dernier, sur un total de 89.632 inscrits sur les listes électorales, si chères au cœur de l’Isie. D’après les résultats obtenus, c’est Mahmoud Essaïed qui arrive en tête des suffrages avec la bagatelle de 584 voix. On parle d’un taux de participation d’un peu moins de 3% pour un siège au Parlement du peuple, là où doit jouer la révolution législative prônée par le président de la République ! Apparemment, Bizerte n’est pas pressée de faire sa « guerre de libération ». Ce qui est sûr, en revanche, c’est que n’importe quel match du CAB aurait attiré plus de personnes dans les gradins du stade. Quant au nombre de voix obtenues par le lauréat de ces élections, il serait largement dépassé par le public présent lors de l’une des soirées du festival estival de Bizerte.

Ce sont des résultats catastrophiques pour l’idée de représentation démocratique et pour la chose politique dans son ensemble. Aussi bonnes soient les intentions, aussi enflammés que peuvent l’être les discours, à coups de « guerre de libération », de « révolution législative et culturelle » ou de « combat sans merci contre les lobbies », il est impossible de faire de la politique quand tout le monde s’en fout.

 

Quand le Parlement devient un décor et les électeurs des figurants

C’est un signal fort qui émane de la circonscription de Bizerte-Nord : la confiance en les institutions est chancelante et rares sont ceux qui croient qu’un élu a la capacité de changer les choses. Aller voter est perçu comme une perte de temps et d’énergie dont le seul bénéficiaire est celui qui s’assoira sous l’hémicycle du Bardo et percevra un salaire payé par nos impôts.

Dans un moment de lucidité, la députée Fatma Mseddi a commenté la question en indiquant notamment que « le Parlement, selon elle, est devenu un décor sans fonction, où les questions restent sans réponses, les propositions de lois gèlent dans les tiroirs, et l’exécutif avance, seul, convaincu d’incarner à lui seul l’État ».

La logique voudrait que l’on s’interroge sur comment nous en sommes arrivés là, mais ce n’est certainement pas chez les députés que l’on trouvera une réponse : ils doivent tous leurs sièges à Kaïs Saïed et à ce qui s’est passé le 25 juillet 2021, il y a déjà quatre ans.

Apparemment, la mayonnaise ne prend plus, en tout cas à Bizerte-Nord, où les gens n’adhèrent plus à un discours révolutionnaire qui s’est avéré creux et sans impact. Il est évident que de simples élections partielles, organisées un dimanche au début de l’été à Bizerte, n’allaient pas mobiliser la population et personne ne pensait voir de longues files de Bizertins attendant de voter. Mais personne non plus ne s’attendait à un tel désintérêt, matérialisé par un taux de participation tout bonnement ridicule. Il est clair qu’il n’y a pas d’adhésion à ce grand projet national incarné par la classe politique actuelle, qui a longtemps pavoisé en accusant leurs prédécesseurs de tous les maux et en se targuant d’une supposée proximité avec le peuple. Le taux de participation aux élections législatives plafonnait déjà à 11%, il tombe maintenant à des niveaux inédits.

 

Entre crise sociale et désillusion politique, les Tunisiens décrochent

Pendant que les politiciens parlent de révolutions tantôt législative, tantôt administrative et culturelle, pendant qu’ils vantent les bienfaits d’un exercice politique apaisé – vu qu’il n’y a pas d’opposition –, pendant qu’ils se félicitent de l’entente et de l’harmonie entre les « fonctions » législative et exécutive – comme s’ils avaient le choix ! –, les gens sont ailleurs.

Les Tunisiens pensent à leurs soucis quotidiens et angoissent par rapport à leur avenir et à celui de leurs enfants. Boucler les fins de mois devient de plus en plus difficile, et les salaires, pour ceux qui travaillent, ne suffisent pas à combler les besoins.

Santé, transport, éducation, tout est payant et tout coûte de l’argent, en plus des impôts que l’on paie à cet État qui veut se redécouvrir un rôle social. Pour se soigner, il vaut mieux aller en clinique se faire déplumer ; pour bouger, il vaut mieux avoir sa propre voiture, avec des prix détachés de toute logique ; et pour l’éducation, on a le choix entre les écoles privées et les cours particuliers : de toute manière, on va casquer.

Alors, dans un contexte pareil, se déplacer pour aller voter en faveur d’un énième personnage qui nous dira que l’on avance vers la lumière, cela relève du rêve.

Par Marouen Achouri
02/07/2025 | 16:59
4 min
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Commentaires
A4
2ème tour
a posté le 02-07-2025 à 22:03
'? 1 % dans le meilleur des cas.
Le but de ces élections c'est de permettre à un "assisté" de vivre à nos frais.
Khaled
Un régime en difficulté
a posté le 02-07-2025 à 21:32
Ces résultats nous montrent que le régime de KS n'est pas soutenu par le peuple. Il tire sa légitimité par les armes, la répression judiciaire et plus récemment par des milices criminelles qui se prennent aux opposants de saied en Europe.
Patriote
L'ISIE
a posté le 02-07-2025 à 20:51
Monsieur le Président devrait ouvrir une enquête sur cette débâcle électorale. Certains complotistes veulent nuire à l'image du Président Kais Saied et mettre en doute sa légitimité. Je crois que le rôle de L'ISIE est de garantir la réussite des élections mêmes si elles sont partielles chose qu'elle n'a pas faite à Bizerte. Des têtes vont tomber dans les prochains jours.
Dr. Jamel Tazarki
"A partir du moment que chacun de nous n'obéit qu'à sa conscience [pour un Etat de droit], le dictateur serait totalement désemparé / désorienté car il finit par se rendre compte que le peuple l'ignore et se dépasse de lui par son abstinence entre autres aux élections [comme à Bizerte] et par le fait qu'il ne consente plus à sa servitude volontaire. Il ne faudrait rien ôter au dictateur mais ne lui rien donner." d'après Etienne de La Boétie
a posté le 02-07-2025 à 17:10
Introduction:
- Ce ne sont pas seulement les dominants qui cherchent à dominer, mais aussi beaucoup de dominés cherchent un dominant.
- Les dominés sont eux-mêmes responsables de la domination qu'ils subissent,
- Un rapport de domination ne se construit pas tout seul. il faut être deux pour qu'il puisse y avoir un rapport de domination (le dominant et les dominés). Aucun dictateur n'est le seul responsable de son pouvoir.


Je cite Etienne de La Boétie: " ['?'] Quel malheur est celui-là? Quel vice, ou plutôt quel malheureux vice? Voir un nombre infini de personnes non pas obéir, mais servir; non pas être gouvernés, mais tyrannisés; n'ayant ni biens ni parents, femmes ni enfants, ni leur vie même qui soit à eux! souffrir les pilleries, les paillardises, les cruautés, non pas d'une armée, non pas d'un camp barbare contre lequel il faudrait défendre son sang et sa vie devant, mais d'un seul; non pas d'un Hercule ni d'un Samson, mais d'un seul ['?'], et le plus souvent le plus ['?'] de la nation ; non pas accoutumé à la poudre des batailles, mais encore à grand-peine au sable des tournois ; non pas qui puisse par force commander aux hommes, mais tout empêché de servir vilement à la moindre femmelette ! Appellerons-nous cela lâcheté? dirons-nous que ceux qui servent soient couards et recrus? Si deux, si trois, si quatre ne se défendent d'un, cela est étrange, mais toutefois possible; bien pourra-l'on dire, à bon droit, que c'est faute de coeur. Mais si cent, si mille endurent d'un seul, ne dira-l'on pas qu'ils ne veulent point, non qu'ils n'osent pas se prendre à lui, et que c'est non couardise, mais plutôt mépris ou dédain? Si l'on voit, non pas cent, non pas mille hommes, mais cent pays, mille villes, [des] millions d'hommes, n'assaillir pas un seul, duquel le mieux traité de tous en reçoit ce mal d'être serf et esclave, comment pourrons-nous nommer cela" Fin de la citation

-->
Ce vice qui n'avait pas de nom, Etienne de La Boétie l'a appelé "la servitude volontaire"

Au juste, Etienne de La Boétie ne fait que nous rendre notre rôle d'acteurs dans l'histoire. --> c'est le peuple qui a fait le tyran, le peuple qui est l'acteur dans cette relation de dominant et de dominés. --> et ainsi ce que le peuple a construit par lui-même, pourrait aussi le déconstruire et le défaire. --> le peuple devrait arrêter d'agir contre lui-même.

-->
Etienne de La Boétie se demande ainsi, pourquoi nous donnons au dictateur la participation qu'il exige de nous (du peuple)? Nous sommes (le peuple) des victimes actives au profit du dictateur.

Je cite : " Ce maître n'a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps, et rien de plus que n'a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu'il a de plus, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. D'où tire-t-il tous ces yeux qui vous épient, si ce n'est de vous? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s'il ne vous les emprunte? ['?'] A-t-il pouvoir sur vous, qui ne soit de vous-mêmes?"

Dr. Jamel Tazarki, Mathématicien Résident à l'étranger


Dr. Jamel Tazarki
"A partir du moment que chacun de nous n'obéit qu'à sa conscience [pour un Etat de droit], le dictateur serait totalement désemparé / désorienté car il finit par se rendre compte que le peuple l'ignore et se dépasse de lui par son abstinence entre autres aux élections [comme à Bizerte] et par le fait qu'il ne consente plus à sa servitude volontaire. Il ne faudrait rien ôter au dictateur mais ne lui rien donner." d'après Etienne de La Boétie
a posté le 02-07-2025 à 17:07
La suite de mon commentaire ci-dessus

Je reviens au cas de la Tunisie:
- La solution n'est pas de se libérer d'une dictature et de passer à une autre, mais d'instaurer plutôt un Etat de droit afin de limiter l'abus de pouvoir de celui qui voudrait conquérir Carthage d'une façon ou d'une autre. --> c'est par l'absence d'un Etat de droit que la révolution des Jasmins à très mal tournée, elle sent plutôt la misère que le Jasmin'?'
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Il est temps de combattre en nous le tyran intérieur, c'est-à-dire comprendre comment nous avons intériorisé la Tyrannie et de la servir volontairement. --> C'est seulement ainsi que l'on pourrait mettre fin à la servitude volontaire d'une dictature abusive afin de passer à une obéissance volontaire au sein d'un Etat de droit.
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Vous voyez la différence entre " servitude volontaire d'une dictature" et "obéissance volontaire à un Etat de droit" où notre bonne conscience nous incite à obéir pour le bien commun. (en ce point je diverge de la définition "d'obéissance volontaire" d'Etienne de La Boétie).

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"A partir du moment que chacun de nous n'obéit qu'à sa conscience [pour un Etat de droit], le dictateur serait totalement désemparé / désorienté car il finit par se rendre compte que le peuple l'ignore et se dépasse de lui par son abstinence entre autres aux élections [comme à Bizerte] et par le fait qu'il ne consente plus à sa servitude volontaire. Il ne faudrait rien ôter au dictateur mais ne lui rien donner." d'après Etienne de La Boétie
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Je cite: "la liberté ne découle pas de la révolte active, mais plutôt de la cessation de la soumission volontaire."
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Ce qui signifie que le chemin vers un Etat de droit nécessite une indifférence / abstention face à la dictature.
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L'abstention est la non complicité à la servitude que la dictature exige de nous (du peuple). L'abstention est l'action la plus radicale afin de ne pas se rendre complice de la dictature et en particulier afin de ne pas la légitimer.

Pour La Boétie la servitude volontaire des tyrans est une dénaturation de l'homme, car les êtres humains ne se laissent asservir que parce qu'ils oublient, à force de soumission, qu'ils sont avant tout des êtres libres --> oui, c'est le mal de 99% des Tunisiens.

Dr. Jamel Tazarki, Mathématicien Résident à l'étranger
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